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Le coupeur de dunes.

 

Un homme voulait être plus fort que la nature, plus fort que Dieu même qui avait créé la nature. Il vivait dans le désert et il en était ainsi pour sa famille depuis des générations. Il rêvait d’horizons plats et lointains et à sa vue ne s’offrait que pierres et sable lorsqu’il quittait la palmeraie.

Un jour n’y tenant plus, il décida de détruire la première dune qui se présenterait à lui et ainsi de suite. Il s’endormit avec ce projet fou.

 Lors de son sommeil, en songe, Dieu lui apparut sous la forme d’une étoile. Tout d’abord il prit peur, voyant ses intentions démasquées.  Soudain de cette étoile, un large sabre surgit, fendit le ciel et vint se planter devant lui sur la première dune.

« Tu as du courage pour m’affronter en voulant détruire ce que j’ai bâti. Les dunes sont les vagues du désert, elles sont vivantes et leur rythme est très, très lent. Elles t’invitent à les gravir pour un jour découvrir d’autres vagues. Celles-ci te rafraichiront.  Tu peux tailler avec ce sabre la route qui te mènera à cet autre océan ».

Le voile de la nuit obscurcit cette vision et plongea le rêveur dans un sommeil profond. Au matin, ne se souvenant pas de son rêve, il s’apprêta à lever son camp lorsque un reflet brillant attirant son attention. A quelques centaines de mètres un objet brillait d’un grand éclat. S’assurant que personne d’autre ne l’avait aperçu il prit la direction de cet éclat. Qu’elle ne fut pas sa surprise de découvrir effleurant la surface de la première dune, un manche en or. Il tira sur celui-ci et  bouche bée, fit la plus grande découverte de sa vie. Un sabre, le sabre de son rêve. Dieu lui avait parlé et relevant son défit, lui offrait un sabre. Curieusement, malgré tout cet or, il lui sembla léger.

Le bédouin brandit l’arme vers le ciel et brava Dieu.

«  Ainsi, tu m’as entendu et tu me défie à ton tour. Je taillerai, briserai une à une toutes ces dunes, ferait voler en éclat la moindre pierre ».

Prévoyant, il rassembla toutes ses affaires et clama à qui voulait l’entendre qu’il tracerait une route et détruirai ces dunes. Et montant de nouveau sur la dune, il frappa, frappa, brisant la dune, creusa inlassablement jusqu’à ouvrir une grande partie de celle-ci.  À la nuit venue, il s’allongea, satisfait et glissa sous sa couche le sabre d’or.

Cette-nuit-là, il ne rêva pas, seul un vent fort troubla son sommeil à maintes reprises. Le vent du désert fait partie de ma vie, se dit-il.

Le lendemain matin, qu’elle ne fut pas sa surprise de découvrir devant lui la dune aussi fièrement dressée qu’au lever du jour précédent, sculptée de nouveau par le vent de la nuit.

« Je suis un homme de parole et je ne capitulerai pas face au premier caprice de la nature, hurla-t-il en direction du ciel ».

Il se précipita vers le sabre et découvrit que celui-ci n’était plus en or mais en verre. De colère il tenta de le briser mais celui-ci parut indestructible. Hors de lui, il courut vers la dune, la gravit et frappa un grand coup sur le sable. Le sable engloutit alors le sabre et la main qui le tenait. Ne pouvant lâcher l’arme, il tira sur son bras mais il était rivé à cette dune comme s’il appartenait désormais à celle-ci.

 « Tu n’as défié que toi-même entendit-il comme si la voix venait de la dune. Tu es comme moi, comme chacun de mes grains, un fils du désert, un fils de la vie. En cherchant à me détruire tu ne fais que te détruire. Ce sabre est éternel car il vient de l’éternel. L’es-tu ?  Combien de temps pourras-tu rester ainsi, prisonnier de ta folie ? » 

Le bédouin commençait à paniquer. La voix reprit :

«  Homme, cesse de te battre contre toi-même. Quand vas-tu comprendre que tu es la dune, le vent, le soleil, l’océan et non ce qui les offenses par tes luttes et tes désirs ». Tout à sa raison d’être si tu le regarde avec les yeux de la vie, avec les yeux de l'Amour pour tout ce qui est. Tout ce qui est, a de l'Amour pour toi »

La panique chez cet homme retomba peu à peu car la voix qu’il entendait était douce.

 

– Je suis à ta merci dit-il, et je ne suis qu’un homme.

 – Tu n’es pas qu’un homme reprit la voix. Tu es aussi la vie, ma création. Ta main a toujours été libre et ce sabre… n’est fait que de sable.

Aussitôt en effet, il put retirer sa main d’où s’écoula un sable fin et lui sembla-il, légèrement lumineux.

 "Tu n’étais prisonnier que de toi-même". Tout concourt à maintenir ta vie en vie, surtout si tu ne défie pas ce Tout et le respecte pour ce qu’il est ».

 

Réveille-toi !!! Réveille-toi !!!, entendit-il  tout à coup,  se faisant secouer. Il se redressa en sursaut, les yeux écarquillés, surpris de voir le visage de son frère.

– Alors et ce projet que tu nous as annoncé hier avec vigueur, qu’en fais-tu ? Le soleil est déjà haut dans le ciel !

– Le…le sabre... le…, le sable… Dieu…

– Mais que racontes-tu là !

–  Reprenant enfin ses esprits, il dit  à son frère :

– Rien, rien  et c’est vrai, j’ai le projet d’aller….remercier, le vent, le sable, chaque grain de vie de la dune et saluer le soleil et vous tous, ma grande famille de la vie.

– Ah,  et que voulais tu dire par le sabre et le sable ?

– On ne peut pas vaincre le sable avec un sabre. Il en est de même entre nous. Quelque  chose me dit que nous ne pourrons jamais nous vaincre.  Qu’il vienne du désert ou d’une étoile, se lèvera toujours un vent pour relever avec une patience infinie ce qui ne peut être détruit jusqu’à ce que l’on soit comme Lui.

– Toi qui hier étais colère, tu te réveilles sage. Je ne comprends peut-être pas tout ce que tu veux dire mais conduit moi à cette dune que je vienne avec toi la remercier. Elle m’a rendu mon frère.

***

Quoi que les hommes se fassent entre eux, leurs âmes sont immortelles et inaccessibles à toutes velléités.  Ils ne se font du mal qu'à eux-mêmes, pauvres fous qu'ils sont. Un vent d'Amour sera toujours là, inlassablement pour, grain par grain, recréer la dune du corps de l'homme jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est une part de ce vent d'Amour, une part du TOUT.

                                        Jean-Paul Sétau

Le silence

 

 Depuis l’aube, je marche sur ce chemin et le soleil  n’a pas encore dissipé les senteurs moussues nées de l’humidité de la nuit. Je marche ainsi comme beaucoup d’autres l’ont fait avant moi sur ces chemins lorsque mon attention est alertée par quelque chose d’insolite. Un  long silence s’est installé en moi et je ne m’en étais pas rendu compte jusqu’à présent. Pourtant tous mes sens sont  activés et sans cesse des impressions, des informations me parviennent par ce que je vois et entends sur ce chemin de campagne. J’ai d’ordinaire un  mental plutôt agité,  et ce  depuis si longtemps. Pourquoi soudain alors ce silence en moi ?

Combien de fois ai-je fais attention à mes silences, je ne le sais pas. Je ne savais même pas qu’il y avait des silences en moi.  Je souris à cette découverte. C’est comme s’il me manquait un moment de ma vie. Je m’interroge :

 Est-ce que je vis lorsque je suis dans le silence, un silence que je ne cherche pas ? Le silence existe-t-il par lui-même ? Pourtant je sais ce que c’est le silence où plutôt je connais le silence  tel que tout le monde le connaît, et  que l’on remarque lorsqu’il n’y a aucun bruit autour de soi.

Etre sans penser, est-ce vivre sans penser que l’on vit ? Voilà une bien étrange sensation, et comment retrouver cette absence de pensée sans le penser ?

Je continue de marcher, cherchant à ne plus penser mais  en vain. Le silence total existe-t-il ?  Cette question m’obsède. Je me rends compte  que je m’éloigne de plus en plus de ce que je cherche à obtenir ou plutôt à retrouver, mon silence. Je pense que je devrais essayer le yoga ou alors plutôt le zen, la sophrologie, ou peut être même l’hypnose. Je pense à un moine tibétain, lui au moins il doit savoir être silencieux complet,  même sans marcher. Pourtant je l’ai eu tout à l’heure ce silence sans le chercher  mais je n’ai pas fait exprès et maintenant que je veux mon silence à moi, je n’y arrive pas, c’est même la cacophonie.

Je marche encore et j’ai tout mon temps.

Quelqu’un vient vers moi. Lui  aussi marche sur ce chemin. C’est sans doute un pèlerin mais lui, il revient. A une vingtaine de pas environ, il s’arrête et s’assoie sur une grosse pierre plate. Je ne vois pas son visage qui est dissimulé en grande partie par une capuche profonde. Piqué  par ma curiosité, je m’arrête à mon tour et à sa hauteur.

– Bonjour, êtes-vous pèlerin ?

–  En quelque sorte, me répondit-il d’une voix basse et lasse à la fois.

–  Revenez-vous de Compostelle ?  

– Non,  je fais demi-tour.

–  et pourquoi cela ?

–  j’ai perdu mon silence.

–  Quoi !!! Vous aussi !!!

–  Comment moi aussi ? Cela fait des kilomètres que je le cherche !

– Quelle étrange coïncidence ! Je l’ai trouvé puis perdu un peu plus loin, là bas, à une heure de marche environ.

–  Comme c’est curieux, moi aussi.

 L’homme gardait la tête baissée, sa capuche l’enveloppait toujours autant.

– Mais j’y pense lui dis-je, et si c’était votre silence que j’avais trouvé et que j’ai perdu à mon tour ?

Pas de réponse, mais dans ma tête et je suppose sous sa capuche, nos pensées font un vacarme.

– J’ai une idée. Je vous propose que nous attendions ici que quelqu’un vous ramène votre silence ou le mien.

De nouveau pas de réaction, j’attends un peu puis  j’ajuste d’un mouvement d’épaule mon sac à dos, prêt à repartir.

–  Attendez, me dit celui que j’appelle désormais « la capuche », je suis le silence ou plutôt je l’étais.

Cet homme est un fou, voilà qu’il prétend être le silence.

–  Je suis le silence, insista l’autre. J’ai toujours été le silence mais je l’ai perdu.

Bon, me dis-je, mieux vaut ne pas le contrarier, on ne sait jamais.

–  Si vous êtes le silence, que faîtes vous ici sur ce chemin ?

–  J’apporte le silence à ceux que je croise.

–  Mais, je ne vous ai pas croisé et j’ai eu ce moment de silence.

–  Le problème est bien là.

–  Quel problème ?

–  Le mien !

–  Mais je ne vois pas quel est votre problème, cela nous arrive à tous de ne pas être dans le silence.

–  Pas à moi puisque je suis le silence.

J’ai, tout à coup, un élan de compassion devant le ton malheureux de cet être. Le pauvre, il a perdu la raison et non pas le silence comme il le prétend. Je tente de le réconforter.

– Ce n’est pas si grave, tenez, moi, par exemple : j’étais tout heureux et surpris d’avoir trouvé un peu de silence et déjà il m’échappait. Alors, vous qui êtes le silence, vous avez du bien en profiter !

La capuche se relève un peu par un léger mouvement de tête mais toujours pas de visage vraiment distinct.

– Vous ne comprenez donc pas, personne ne voyait le silence donc personne ne me voyait. Je venais apporter un peu de douceur et de paix dans les esprits que je croisais. Parfois même, je restais un peu avec eux mais depuis que je l’ai perdu je suis vu, et en moi il n’y a plus de silence. Je suis devenu comme vous.

Si l’inconfort de ma position debout ne me rappelait pas que j’étais bien éveillé, jamais je n’aurais cru entendre de telles paroles !

– Je savais qu’un jour cela arriverait car tel est mon destin mais je m’y étais habitué.

– Depuis quand êtes-vous le silence ?

– Depuis toujours. Ce silence je l’ai partagé, je l’ai donné de temps en temps et je prenais durant ces quelques instants les pensées des gens. Je vivais un peu à travers eux quelques instants.

– Que faisiez-vous de leurs  pensées ?

– Je les cajolais, je les rassurais lorsqu’elles étaient tristes, je les aimais et je les rendais transformées. Souvent, je les éclairais par des conseils et je remerciais le grand architecte de la vie pour m’avoir encore et encore permis d’enrichir les pensées des pèlerins du chemin de St-Jacques.

– Personne ne l’a jamais su ?

– Avant vous, non !

– Et pourquoi serais-je le premier ? Lui dis-je, toujours désappointé par la tristesse de cette voix aux accents de sincérité qui me troublait au plus profond de moi. 

– Mon temps est fini. Je vais finir ma vie comme vous tous et je ne pourrai plus vous aider dans vos silences.

– En quoi peuvent nous aider tous ces silences ?

– Le grand architecte de la vie l’a voulu ainsi. Il vous a toujours aidé d’une façon ou d’une autre. Mais c’est gratifiant,  merveilleux de pouvoir aider les autres, non ? Je ne sais pas faire autre chose, je n’ai jamais appris et puis je vous ai tant aimés, vous mes pèlerins sur ce beau chemin.

Je restais sans voix.

Nous restâmes de longues minutes ainsi. Mon regard scrutait l’horizon qui se profilait au delà du chemin. Je  poursuivis ma réflexion en me retournant doucement vers ce chemin d’où je venais, m’attendant à apercevoir ce que cet être cherchait.

Un bruissement attira mon attention vers lui mais il n’était plus là. Il me semblait que je ne m’étais retourné que quelques secondes en direction des mes propres pas. Seule sur le sol, gisait sa pèlerine, telle une dépouille d’un autre temps. Ou est-il passé, pourquoi, cherche t-il à me jouer un tour ?

Une heure passe et je suis toujours là, l’attendant. De guerre lasse, je prend sa pèlerine par la  capuche et la mets dans mon sac. Je reprends mon chemin pensant que je finirais bien par le retrouver. Mais très vite, je n’ai plus envie de marcher et je m’assois à mon tour sur le bord du chemin. Je me remémore cette rencontre quand je vois approcher un autre pèlerin. Ha ! Voilà de la compagnie, il va bien s’arrêter quelques instants.

Au fur et a mesure que l’homme approche, l’attitude de celui-ci m’intrigue. Mais ! Ma parole, il fait semblant de  ne pas me voir, il m’ignore ! Belle mentalité !

Déçu mais résigné à ne pas le héler, quelle  n’est pas ma surprise lorsqu’il arrive à ma hauteur, d’entendre non pas sa voix mais ses pensées : "Encore une heure de marche et je me reposerais. Il  n’y a pas âme qui vive aujourd’hui sur le chemin. Moi  qui aime la compagnie, qu’est-ce qui m’a pris de partir seul de Saint-Jean Pied de Port."

‑ Mais je suis là, lui criais-je !

Le pèlerin poursuit son chemin en maugréant toujours contre lui-même.

Il ne m’a pas vu, il ne m’a pas entendu, comment est-ce possible ?

L’homme disparaît de ma vue, je reste abasourdi  quand tout à coup, je sens près de moi une présence. L’être à la capuche est de nouveau là.

– Mais à quoi jouez-vous ? Au magicien ?  Ou étiez-vous et, et… votre capuche, vous l’avez sur vous !

Je saisis mon sac et nerveusement je répands son contenu par terre. Seules mes affaires s’y trouvent.

Comment est-ce possible, je l’ai ramassée et mise dans mon sac quand vous avez disparu !

            – Vous me croyez maintenant !

Ce fut en moi, aussi retentissant qu’une claque !  En un instant tout défila devant moi, ce que j’avais vécu, les paroles de cet homme ou de ce je ne sais qui que j’ai pris pour un homme.

– Vous me croyez maintenant ?

– Oui, peut-être, je ne sais plus où j’en suis et qui je suis.

– Oui, je comprends mais ne vous inquiétez pas, j’ai retrouvé mon silence.

– Et où est-il ?

– En vous !

– En moi !!!

–Voilà pourquoi, lorsque je l’ai compris, je vous ai laissé quelques temps afin  de faire  vous-même, l’expérience du silence.

– Mais ce n’était pas du silence puisque j’entendais les pensées du pèlerin !

– Lui, n’entendait pas ses propres pensées lorsqu’il vous a croisé. J’étais là justement pour apporter un peu de silence et les embellir par cette alchimie dont je suis capable.

– C’est vrai je n’ai pensé qu’à moi, mais il ne m’a pas vu.

– Tout comme vous ne m’avez pas vu lorsque je vous ai offert du silence, mais comme il est resté en vous, vous avez pu ensuite me voir, moi. Si  je n’étais pas revenu, vous n’auriez  plus  été vu par personne.

– Pourquoi être revenu, vous auriez pu être enfin comme tout le monde !

– Je suis ce que je suis et cela me suffit. Je suis en vie et ce que je suis donne un sens à ma vie. Et vous, est-ce que votre vie à un sens ?

– Non, et c’est pour cela  que j’ai décidé de faire le chemin de St-Jacques avant de prendre une décision importante.

Hésitant tout d’abord, je me confiais à cet être au visage toujours dissimulé.

J’ai tout raté, mon mariage, mes relations avec mes enfants, ma famille, mon travail. J’ai  toujours tout raté, je suis un raté et plus rien ne me retient et je lui racontais ma vie avec force détails.

 Pendant ce temps là, un petit groupe de pèlerins passe devant nous. Celui qui se nommait le  Silence m’écouta sans jamais m’interrompre et le monologue dura, dura.

Enfin je me tus.

– Il y a quelque chose que tu n’as pas raté mon frère.

– J’ai tout raté, te dis-je, passant moi aussi tout naturellement au tutoiement.

–  Tu as réussi à me prendre ce que personne ne m’a jamais pris. C'est-à-dire, ma raison d’être, ce que je suis depuis toujours, mon silence ou plutôt ma faculté d’établir le silence en chaque être qui se trouve sur mon chemin.

– C’est bien la première fois que je réalise quelque chose sans le vouloir. Quel  intérêt puis-je en retirer ? Tu es de nouveau le silence et moi je suis toujours le raté.

– As-tu remarqué que le groupe de pèlerins tout à l’heure ne  nous a pas vu.

-Non, mais maintenant je m’en rends compte.

– Tu es comme moi, tu es devenu le silence.

– Mais je ne veux pas moi, être le silence ! Je ne veux rien du tout, je ne veux plus être quoi que ce soit. C’est pour cela que j’ai entrepris ce dernier voyage.

– Je sais.

– Qu’est-ce que  tu sais ?

– je ne lis pas que dans les pensées, je lis aussi les âmes.

– La mienne ne doit pas être bien brillante.

– Elle est, et cela seulement compte.

– Elle est quoi ? Tes façons de parler ne me suffisent pas !

– Elle est avant tout vivante, et elle, tu ne pourras pas y mettre fin.

– Et alors, au moins je ne traînerais plus cette carcasse avec qui j’ai tout raté.

– En es tu sûr ?

– Que veux-tu dire ?

– Suis-moi.

Nous reprenons le chemin  vers  le lieu de notre rencontre puis, par un étroit sentier, nous nous enfonçons  parmi des arbres  courts  et feuillus. Quelques pas encore  et nous nous approchons  de ce qui paraissait être un  abri aménagé dans de la roche. Une petite cavité  y forme une petite grotte naturelle, un abri discret et invisible depuis le chemin que tous empruntent.

– C’est ici que tu vis, lui dis-je en me moquant un peu de lui ?

– Non mais entre, je t’en prie.

J’entre le premier. L’abri ne me paraît pas bien vaste mais il me faut un temps pour m’habituer à la pénombre et là, le choc,  la surprise de ma vie. Mon corps est allongé là, mon bras gauche ballant et  baignant dans son sang. Il me semble alors que tout ce qui me reste de vie, de sensation de vie en moi éclate dans toutes les directions.

 Mais que fait mon corps là étendu alors que je suis vivant ?

– Oui, tu as oublié, car tu es entre deux vies ou si tu préfères, sur un pont entre deux rives.

            – Comment l’as tu découvert ?

Lorsque j’étais avec toi, assis sur le bord du chemin, j’ai compris qu’une partie de toi manquait et je l’ai cherchée.

– Pourquoi je ne m’en souviens pas ?

– Tu le découvriras plus tard.

Un couteau au manche rouge est encore dans une main. Il ne fait aucun doute que j’ais mis fin à mes jours.

­­-  "Il" semble mort, ne pouvant encore prononcer un "je."

- Toi, comment te sens-tu ?

- Vidé, mais vivant.

- Maintenant que veux-tu ?

Un long silence s’installe en moi, incapable de penser et donc de savoir ce que je veux. Je sorts de la grotte et je me sens las, très las. Je m’assois lourdement sur l’herbe grasse et abondante en cet endroit et comme répondant à une invite, je m’y allonge. Le ciel me parait très lumineux et mes yeux se ferment me plongeant dans ce qu’il me semble être, un sommeil lourd et profond.

Combien de temps a passé, je ne le sais mais lorsque j'ouvre les yeux en sursautant à cause d’un bruit sec à coté de moi, le ciel est toujours éclairé par un soleil éclatant. Je me redresse et cherche des yeux l’être qui se nomme le silence mais il n'est plus là. Seul, un jeune marcassin me regarde avec des yeux aussi curieux qu’effrayés puis il disparaît  sous les branches basses d’un taillis.

Le silence est encore parti, me dis-je. Tournant le dos à la grotte, je m'apprête à  reprendre le sentier  lorsque ma main frôle  la poche de mon pantalon et là quelque chose attire mon attention. Je  mets aussitôt la main dans ma poche et un grand frisson parcourt alors mon échine. Je sens et reconnais la forme familière de mon couteau au manche rouge.

Mû comme par un ressort, je bondis jusqu’à la grotte et là, pas de corps !

– Et maintenant que veux-tu ?

 Cette fois ce n’était pas une voix et cela ressemblait à une pensée en moi, mais ce n’était pas la mienne.

– C’est toi ?  C'est toi, le silence ?

Pas de réponse, puis très rapidement, j'ai  l’impression qu’un épais brouillard se déchire en moi et tout me revient en mémoire. La chambre à l’hôpital, la sortie du  coma après ma tentative de suicide. J’en voulais au médecin qui m’avait sauvé, à la terre entière, et tout particulièrement à moi-même. Un peu plus tard et comme toute les nuits, une infirmière de garde était venue me voir. C’était une jeune femme aux yeux très clairs et  après avoir vérifié si tout allait bien, elle ne semblait pas pressée de quitter la pièce. Elle était là simplement mais elle l'emplissait de sa présence.

– Comment vous sentez-vous vraiment, me dit-elle.

– Mal, mon esprit me torture et je ne me sentirais pas mieux tant que….

– que quoi ? Me dit-elle avec une voix très douce.

Bien que cette personne m’inspirait confiance, j’étais résolu à ne rien dire.

– Bientôt  vous sortirez et vous serez libre de vos choix.

Elle s’approcha un peu plus près de moi et plongea son regard dans le mien. Je compris très vite qu’il était inutile de mentir.

  • Ne dites rien, mais promettez-moi une chose, avant de recommencer, allez sur le chemin de St Jacques de Compostelle.

Je  ne sais pas pourquoi mais j'ai promis et c’est ce que j’ai fait. J’ai marché, marché et j’étais toujours aussi tourmenté quand n’en pouvant plus j’ai décidé de quitter le chemin balisé pour prendre un petit sentier qui m’a finalement m'a  conduit jusqu’à cet abri rocheux.

 

Mon couteau est dans ma main, cela veut dire que je n’ai pas encore fait ce que j’avais l’intention de faire.  J’ai sans doute rêvé tout cela ou alors je suis tombé et j’ai perdu connaissance ?  Pourtant tout ce qui s’était passé avec cet étrange rencontre est bien présent en moi.

 

–  Et maintenant que veux-tu ?

 

De nouveau, cette question jaillit dans mon esprit et cette fois je lui réponds :

            – Illusion ou vérité, je ne sais pas qui tu es, toi qui était malheureux de ne pouvoir plus être ce que tu étais, malheureux de ne plus pouvoir aider, tu ne m’as jamais jugé, reproché quoi que ce soit, tu m’as simplement écouté, aidé à m’arrêter de penser et permis de vivre ce que j’ai vécu avec toi. Je ne sais pas ce que je veux mais je sais désormais ce que je ne veux plus.

Je jetais mon couteau au manche rouge au fond de la grotte et revint sur mes pas en direction du chemin. Arrivé sur celui-ci, j’y rencontrais  un autre pèlerin  et nous fîmes connaissance.

Très vite il me demanda :

–  C’est votre premier pèlerinage ?

– Oui.

– Moi aussi, je vais à la rencontre de moi-même et de celle de St- Jacques dont l’esprit, dit-on, imprègne ces chemins.

– Alors, écoutez le silence…

Sur ces paroles, une image s’imposa à moi : celle d’un être encapuchonné restant en arrière sur le chemin et qui, avec son bras levé,  semblait me dire : bon voyage mon ami.

                                                                                                                                                        Jean-Paul Sétau

Histoires de...méditer

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